La cession d’une entreprise individuelle est fondamentalement différente de celle d’une entreprise sociétaire au plan de la “survie juridique” de l’affaire cédée et au plan de la disponibilité de ses biens.
Les différences que présentent la cession d’une société et la cession d’une entreprise individuelle proviennent, pour l’essentiel, du fait que l’entreprise constitue une personne distincte du dirigeant quand elle est sociétaire, ce qui n’est pas le cas quand elle est individuelle. L’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL) constitue un cas particulier.
Parce qu’elle ne constitue pas une personne morale distincte, l’entreprise individuelle, cédée à titre gratuit ou onéreux, cesse pour l’essentiel sa “vie juridique” quand bien même elle poursuivrait une activité “économique”.
En revanche, l’entreprise continue pleinement à vivre une vie indépendante – tant juridiquement qu’économiquement – quand elle est constituée en société.
Les biens affectés à la marche de l’entreprise sont :
directement propriété de l’entrepreneur individuel,
mais propriété de la société dans le second cas.
La différence est considérable. En effet, le dirigeant d’une société ne peut donner ou léguer à un successeur un des actifs de l’entreprise ; il ne peut que donner ou léguer des parts de société ou la société même, ce qui est bien différent. Dans l’hypothèse où l’un des biens de la société intéresserait un successeur du dirigeant :
le bien devra d’abord être vendu par la société (éventuellement à la personne intéressée),
le produit de la vente ne pouvant qu’ensuite être distribué sous forme de dividendes.
L’opération entraîne des conséquences fiscales assez lourdes :
paiement des droits de mutation si la personne intéressée achète le bien,
et impôt sur les dividendes, notamment.
Les conséquences sont particulièrement sensibles s’agissant d’un immeuble propriété de l’entreprise. Pour les donataires ou héritiers, il sera généralement plus intéressant que l’entreprise propriétaire soit individuelle. Ils pourront alors directement recevoir l’immeuble et tirer pleinement profit de sa vente.
La loi 2014-856 du 31.07.2014 sur l’économie sociale et solidaire dite “loi Hamon” impose aux PME deux obligations d’information des salariés en matière de reprise d’entreprise :
l’une est périodique et porte sur les conditions d’une telle reprise,
l’autre vise à informer les intéressés sur un projet concret de cession de leur PME.
La loi 2015-990 du 06.08.2015 (JO du 07.08.2015) pour la croissance et l’activité dite “loi Macron” modifie ces dispositifs.
Les salariés des sociétés commerciales de moins de 250 salariés doivent être informés tous les 3 ans sur les possibilités de reprise de leur entreprise, notamment sur les conditions juridiques d’une telle reprise, ses avantages et ses difficultés.
Le contenu de cette information a été défini et complété par le décret n° 2016-2 du 04.01.2016 afin que les salariés soient sensibilisés aux réalités économiques et financières de leur entreprise. Depuis le 06.01.2016, l’information porte aussi sur les orientations générales de l’entreprise relatives à la détention de son capital, notamment sur le contexte et les conditions d’une cession de celle-ci et, le cas échéant, sur le contexte et les conditions d’un changement capitalistique substantiel.
Les salariés des PME doivent également être informés en cas de projet concret de cession de leur entreprise, au plus tard 2 mois avant la cession, afin de leur permettre d’élaborer et de proposer une offre de reprise. Cette disposition s’applique aux cessions conclues depuis le 01.11.2014 et concerne les projets de cession :
d’un fonds de commerce,
d’une participation représentant plus de 50 % des parts d’une SARL,
d’actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d’une société par actions (SA, SAS et société en commandite par actions).
Précision
La date de la cession doit nécessairement s’entendre comme la date de conclusion de la vente, et non comme celle du transfert de propriété, dont les parties peuvent convenir qu’il interviendra plus de 2 mois après (CE 08.07.2016 n° 386792, JO du 21.07.2016).
Remarque
Etaient cependant exclus de ce dispositif d’information des salariés les cessions intervenant par succession ou liquidation du régime matrimonial ou envers un conjoint, ascendant ou descendant, ainsi que les transferts de propriété résultant d’une transmission universelle de patrimoine (TUP), notamment les donations et libéralités effectuées dans le cadre familial ou encore les transferts résultant d’une fusion ou d’une scission de sociétés et d’un apport partiel d’actifs soumis au régime des scissions.
A défaut d’information, la loi Hamon prévoyait que la cession pouvait être annulée à la demande de tout salarié.
La loi n° 2015-990 du 06.08.2015 (JO du 07.08.2015) pour la croissance et l’activité dite “loi Macron” réaménage ce dispositif, très contesté par le patronat, sur les deux principaux points suivants. Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 01.01.2016.
Seules les ventes sont soumises à information des salariés, alors qu’en l’état du droit ancien toutes les cessions étaient visées (par donation, échange, apport…).
Aucune information supplémentaire n’est plus nécessaire lorsque les salariés ont déjà été informés de la vente dans les 12 mois la précédant dans le cadre de l’information triennale.
Désormais, la sanction prévue en cas d’action en responsabilité devant le juge consiste en une amende civile d’un montant maximal égal à 2 % du montant de la vente.
Remarque
Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité avait invalidé les dispositions de la loi Hamon sanctionnant le défaut d’information des salariés par la nullité de la vente (Cons. const. 17.07.2015 n° 2015-476 QPC).
Considérant que l’entreprise s’arrête, le fisc exige son dû quand celle-ci est transmise, que ce soit à titre onéreux ou gratuit.
De ce fait, de nombreux impôts deviennent exigibles immédiatement.
Le décès du dirigeant ne met pas, à proprement parler, un terme à l’activité de l’entreprise.
Cependant, il entraîne toute une série de conséquences qui peuvent se révéler source de difficultés sérieuses :
les comptes bancaires de l’entreprise sont bloqués, au même titre que les comptes individuels,
les mandats reçus ou donnés se trouvent automatiquement caduques (sauf mandats post mortem),
si la législation impose au dirigeant une qualification déterminée – titre d’artisan ou de pharmacien, par exemple –, la poursuite de l’entreprise se trouve suspendue à l’arrivée d’un professionnel ayant le titre exigé (pour ne pas interrompre trop longtemps la vie de l’entreprise, ce qui lui serait évidemment très préjudiciable, les héritiers peuvent la vendre tout en restant libres d’accepter ou de refuser la succession : procédure de la “vente sans attribution de qualité”).
L’entreprise n’existant pas en tant que telle au regard du droit successoral, la succession ne comprend pas “une entreprise” – puisque celle-ci est sans existence juridique –, mais les biens de l’entreprise :
fonds de commerce avec ses divers éléments, tels que machines, droit au bail, stocks, brevets, clientèle, etc.,
biens immobiliers, etc.
Ces biens tombent dans l’indivision successorale :
ils peuvent être détachés de l’entreprise si les héritiers le décident ;
tandis que la conduite de l’affaire exige l’unanimité des indivisaires et que nul n’est tenu de demeurer dans l’indivision :
les héritiers peuvent passer entre eux une “convention d’indivision” au respect de laquelle ils seront tenus, ce qui interdira à chacun d’entre eux de sortir à tout moment de l’indivision,
ils peuvent également confier le fonds à un gérant dans le cadre d’un contrat de location-gérance.
Le droit successoral est largement inspiré par le principe égalitaire et il entend, le plus souvent, que les divers héritiers reçoivent des lots égaux.
Trois cas peuvent alors se présenter.
Aucune difficulté successorale : l’héritier reçoit tous les biens du défunt. Il lui appartient de décider s’il continue ou non l’exploitation, à condition qu’il puisse et veuille le faire.
Même complexe, sa succession n’est nullement insoluble, car il peut, sans contrevenir au droit successoral ni transgresser les prescriptions de la loi en matière de réserve héréditaire :
léguer l’ensemble des biens constituant l’entreprise à celui de ses héritiers qui paraît le plus apte,
léguer les autres biens aux autres héritiers.
Le problème risque alors de se révéler insoluble ou très difficile à résoudre. Les héritiers ont en effet le choix entre :
vendre l’entreprise, à condition que cela soit possible,
demeurer dans l’indivision et poursuivre ensemble l’exploitation, solution extrêmement précaire – nul n’étant tenu de demeurer dans l’indivision – et juridiquement très délicate,
constituer une société avec la part de l’entreprise dont ils ont hérité s’ils ont le désir de poursuivre le même objet social sur un strict plan d’égalité, ce qui est peu fréquent,
et s’attribuer chacun une fraction des biens dont la réunion constituait l’entreprise avec, pour conséquences, la disparition de l’entreprise elle-même et des pertes qui peuvent se révéler très importantes, les biens en cause tenant souvent l’essentiel de leur valeur de l’usage qui en est fait au sein de l’entreprise.
La transmission par voie de donation ne résout pas les problèmes mentionnés ci-dessus. En effet :
au décès, toute donation antérieure est prise en compte dans la succession , ce qui est susceptible de poser de redoutables problèmes,
quand elle existe – ce qui est la généralité des cas –, l’obstacle de la “non-divisibilité” de l’entreprise individuelle est tout aussi présent en cas de donation qu’en cas de succession.
La transmission à titre gratuit de l’entreprise entraîne paiement des droits de succession ou de donation, sauf cas d’exonération.
Le fonds de commerce et les divers biens de l’entreprise sont vendus à un acquéreur, et ce dernier fait son affaire de la poursuite de l’exploitation. Il reste toutefois une difficulté : diviser l’entreprise individuelle rend généralement plus complexe une cession simultanée à plusieurs acquéreurs.
La situation de l’entreprise en société est l’inverse de celle de l’entreprise individuelle. La société a en principe une vie propre, indépendante de l’existence et de la personne même du dirigeant. Les conséquences sont de trois ordres.
Le décès du dirigeant n’a aucune incidence directe autre que d’ordre pratique sur la marche de la société. Sauf exception, elle continue d’exister et de poursuivre son activité. Cependant sont dissoutes de plein droit, à moins que les statuts n’en disposent autrement :
les sociétés en nom collectif lors du décès d’un associé,
les sociétés en commandite simple et par actions lors du décès d’un associé commandité.
Enfin, dans des petites sociétés, il peut être nécessaire de nommer un administrateur quand le décès fait tomber le nombre des administrateurs au-dessous du seuil minimal – c’est le cas des SA (il en va de même, a fortiori, quand le départ du dirigeant fait tomber le nombre de porteurs de parts ou d’actionnaires au-dessous du nombre minimal : à noter que ce fait ne dissout pas la société, mais permet à un tiers d’en demander la dissolution).
La transmission de la société est fiscalement simple : il n’y a pas lieu d’opérer une distinction entre les biens et dettes de l’entreprise. La transmission porte uniquement sur des actions ou parts. Il en va de même de la cession à titre onéreux.
Remarque
Sur la prise en compte, pour le calcul des droits de succession, de la dépréciation éventuelle résultant du décès et affectant la valeur des titres non cotés ou des actifs incorporels transmis par décès.
La société est aisément divisible, puisque son capital est lui-même divisé en parts ou actions. Il est donc possible :
de lotir également tous les héritiers en leur distribuant un nombre égal d’actions ou de parts,
de vendre simultanément à plusieurs acquéreurs.
Une telle distribution permet de respecter n’importe quelle prescription du droit successoral. Elle ne peut évidemment pas résoudre le problème de la transmission du pouvoir :
dès l’ouverture de la succession, les parts ou actions tombent dans l’indivision, et chacun peut évidemment s’en retirer,
cependant, dès lors que les héritiers ne sont plus en indivision, ces derniers sont associés de la nouvelle société et doivent en respecter les statuts, notamment en matière de clauses d’agrément.
Conséquence négative de la divisibilité du capital : un héritier peut recevoir un capital piégé.
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