Créer une succursale ou une filiale : conséquences fiscales

img

Une société qui lance une nouvelle activité ou étend son activité sur le plan géographique peut soit se contenter de créer un nouvel établissement – c’est-à-dire une simple succursale – à la tête duquel elle place un de ses salariés, soit constituer une société chargée d'exploiter l'activité nouvelle ou étendue, société qui sera la filiale de la précédente. Quelles seront les conséquences fiscales selon le choix qui sera fait entre ces deux modalités d'investissement ? Nous faisons le point sur les enjeux fiscaux en présence, tant au regard du cadre fiscal général applicable qu’au regard de situations plus particulières.

Cadre fiscal général en cas de création de filiale ou de succursale

Droits d'enregistrement à la création de la succursale ou de la filiale

La création d'une succursale donne lieu à des opérations patrimoniales (achat de biens immobiliers, de clientèle, prise à bail de locaux, etc.) qui entraînent l'exigibilité des droits d'enregistrement correspondants. Les mêmes droits sont exigibles, lorsque ces opérations sont faites au nom d'une société filiale créée pour exploiter le nouvel établissement (mais la formation de cette société n'entraîne elle-même aucune perception). Les droits d'enregistrement n'ont donc pas d'incidence notable sur la décision de créer une filiale ou une simple succursale.

Impôts et taxes dus en cours d'exploitation

Au regard des différents impôts liés à l'existence et au fonctionnement de l'établissement (impôt sur les bénéfices, TVA notamment), la situation varie radicalement suivant que cet établissement est une succursale ou une filiale de la société qui l'a créé.

Pour une succursale. La succursale, qui n'a pas d'autonomie juridique, n'a pas davantage d'autonomie fiscale vis-à-vis de la « maison mère ». Même si la comptabilité permet de distinguer les résultats de son exploitation, ceux-ci viennent se fondre dans le résultat général de la société et sont imposables au nom de celle-ci (sous réserve, s'il y a lieu, de l'application de la règle de « territorialité » de l'impôt sur les sociétés (IS) prévoyant la non-imposition en France des bénéfices, ou la non-déduction des déficits, d'un établissement situé à l'étranger).

De manière analogue, aucune transaction juridique ne pouvant avoir lieu entre maison mère et succursale, la TVA n'est en principe pas due sur les livraisons faites par une maison mère à sa succursale (CJUE 23-3-2006 aff. 210/04 ; BOI-TVA-CHAMP-10-10-20 n° 280) sous réserve des particularités liées à l'implantation de la succursale dans un pays autre que celui de la maison mère. C'est ainsi que, du seul fait du franchissement de la frontière, les marchandises allant de l'une à l'autre peuvent subir la TVA dans le pays d'arrivée. La TVA est également due sur les prestations de services fournies par un siège à sa succursale (ou inversement), établis dans des États différents, lorsque l'une de ces entités (ou les deux) est membre d'un assujetti unique (groupe TVA : CGI art. 256 C) dans son État membre d'établissement.

Pour une filiale. En revanche, la filiale a une personnalité fiscale propre. Quelle que soit sa forme juridique (société par actions ou société de personnes), c'est elle qui est redevable de la TVA sur ses ventes de biens ou de services. De même, la société mère ne peut pas se dispenser d'acquitter la TVA sur les livraisons de biens ou de services qu'elle lui fait, celles-ci procédant d'une véritable vente.

Filiale et groupe TVA

L'instauration par la France, depuis le 1-1-2023, de la faculté de constituer un assujetti unique (groupe TVA) atténue la rigueur de ces règles pour les entités présentant des liens étroits sur les plans financier, économique et organisationnel (CGI art. 256 C). Les opérations réalisées entre les membres d'un assujetti unique constituent en effet des opérations internes sans incidence pour l'application de la TVA.

 

Au regard de l'imposition des bénéfices, le principe est le même : les transactions réalisées entre la société mère et sa filiale doivent être conformes à l'intérêt propre de chacune d'elles sans que l'intérêt du groupe puisse être pris en considération. La jurisprudence admet néanmoins que la société mère puisse facturer les services rendus à ses filiales à prix coûtant, sans marge bénéficiaire. La filiale seule a la qualité de contribuable à raison de ses propres résultats. Toutefois, il peut être dérogé à ce principe dans les deux situations suivantes :

1. lorsque la filiale est une société soumise à l’IS détenue à 95 % au moins par sa société mère, son résultat (positif ou négatif) vient se fondre dans le résultat dégagé par la société mère si celle-ci a décidé de former un groupe comprenant ladite filiale (CGI art. 223 A à 223 U) ;

2. si la filiale a le statut de société de personnes (société en nom collectif), la quote-part de ses résultats qui correspond aux droits de la société mère doit, pour l'assiette de l'impôt, être ajoutée par cette dernière à ses propres résultats.

 

Situations particulières

Distribution de bénéfices par la filiale

Si la filiale est une société de personnes (société en nom collectif…). Le fait qu'elle distribue ou ne distribue pas ses bénéfices est sans influence sur la situation fiscale de la société mère, celle-ci devant inclure dans ses résultats sa quote-part des bénéfices de la filiale dès la réalisation de ceux-ci (qu'ils soient distribués ou non).

Si la filiale est une société de capitaux dans un groupe intégré. La situation est la même si la filiale est une société de capitaux (SA, SAS, SARL…) dont le résultat vient s'intégrer dans celui de sa société mère en application du régime des groupes. La neutralisation fiscale des distributions internes à un groupe d'intégration fiscale n'est cependant pas totale. Les distributions éligibles au régime mère-fille sont en effet soumises à la taxation d'une quote-part des frais et charges fixée à 1 % de leur montant (au lieu de 5 %, en règle générale, dans le régime de droit commun) (CGI art. 216, I modifié par la loi 2023-1322 du 29-12-2023 art. 52).

Si la filiale est une société de capitaux imposable séparément. Dans ce cas, la société mère ne doit comprendre dans ses résultats que les seuls bénéfices qui lui sont distribués par la filiale. Mais, lorsque les conditions d'application du régime spécial des sociétés mères et filiales sont remplies, la société mère peut, pour le calcul de son bénéfice imposable, retrancher de son bénéfice les dividendes reçus de ses filiales après imputation d'une quote-part de frais et charges fixée forfaitairement à 5 % du produit des participations, crédit d'impôt compris. Ce taux est toutefois ramené à 1 %, sous certaines conditions, pour les produits de participation versés par une filiale étrangère.

Abandons de créances (ou subventions) entre mère et filiale

La société qui crée une filiale pour développer une activité nouvelle pourra être amenée, si cette filiale traverse une situation difficile, à lui consentir une aide sous forme, par exemple, d'abandon de créance ou de subvention. L'abandon de créance consenti par une société à une filiale en difficulté est soumis à un régime différent selon que cet abandon est consenti pour des raisons commerciales (par exemple pour conserver les débouchés que lui assure sa filiale) ou pour des raisons financières.

Un abandon à caractère commercial. La remise de dette consentie par la société mère constitue une charge déductible de son résultat imposable et un profit pour la filiale. Pour le Conseil d'État, des services aux filiales peuvent caractériser des relations commerciales même en l'absence de toute activité d'achat-revente de la société holding (CE 7-2-2018 n° 398676). La déduction est subordonnée au respect des conditions fixées par la jurisprudence concernant une gestion normale et l'intérêt propre de l'entreprise versante. Ainsi, il ne suffit pas qu'une renonciation à recettes soit conforme à l'objet social pour relever d'une gestion normale (CE 22-7-2022 n° 444942). Toutefois, l'article 39, 1-8° du CGI pose une présomption de normalité des abandons de créance à caractère commercial consentis ou supportés dans le cadre d'un plan de sauvegarde ou de redressement ou d'un accord de conciliation.

Forme de l’abandon de créance

La déduction de l'aide consentie par une société à sa filiale en difficulté est indépendante des modalités d'octroi de cette aide qui peut donc prendre la forme d'une subvention ou de renonciation à recettes : prêts ou avances sans intérêts, ventes ou services gratuits ou à prix préférentiels, etc.

 

Un abandon à caractère financier. En revanche, si l'opération ne revêt pas un caractère commercial, l'abandon de créance n'est déductible que si la filiale est en difficulté financière (CGI art. 39, 13). Sont essentiellement visées à ce titre les aides accordées dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, de conciliation ou d'insolvabilité (BOI-BIC-BASE-50-20-10 n° 63). Toutefois, la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que l'abandon par une société holding de créances correspondant à des services administratifs rendus à ses filiales relève également du régime des abandons de créances à caractère financier (CAA Nantes 23-9-2022 n° 20NT00524). La déduction est admise à hauteur seulement de la situation nette négative de l'entreprise bénéficiaire et, pour le montant excédant cette situation nette négative, à proportion des participations détenues par d'autres personnes que l'entreprise qui consent l'aide. L'excédent est considéré comme un supplément du prix de revient de la participation. La fraction de l'abandon de créance non déductible chez la mère ne constitue pas un profit imposable pour la filiale si cette dernière s'engage à augmenter son capital, à due concurrence, au profit de la société mère, avant la clôture du deuxième exercice suivant.

Création d'une activité à l'étranger par une entreprise française

Au regard des impôts français, la circonstance qu'une entreprise opte pour la création d'une filiale ou d'une succursale à l'étranger n'a pas d'incidence au moment où elle fait son investissement. La situation est différente en cours ou en fin d'exploitation dès lors que l'entreprise doit tenir compte des particularités découlant du principe de la territorialité de l’IS. Il en résulte les conséquences suivantes.

Exploitation étrangère assurée par une succursale. L'entreprise française qui ouvre une succursale à l'étranger n'est pas imposable en France sur les profits de cette succursale et, corrélativement, ne peut déduire de son résultat fiscal les pertes subies par celle-ci. Elle se trouve ainsi vis-à-vis de sa succursale étrangère dans une situation analogue à celle d'une société mère par rapport à sa filiale. Elle ne peut donc enregistrer fiscalement les livraisons effectuées à sa succursale pour un prix inférieur à leur prix de revient réel, sauf à voir réintégrer la perte correspondante dans son résultat imposable.

Exploitation étrangère assurée par une filiale. Les bénéfices réalisés et les pertes subies par une filiale étrangère n'exercent aucune influence directe sur le résultat imposable en France de la société mère. Mais la personnalité juridique distincte des deux sociétés entraîne indirectement les conséquences suivantes.

Si la filiale étrangère verse des dividendes relevant du régime mère-fille, ceux-ci entrent dans les profits financiers de la société mère mais bénéficient en fait d'une exonération, sous réserve d'une réintégration égale en principe à 5 % du dividende, crédit d'impôt compris. Ce taux est toutefois aligné sur celui applicable aux distributions intragroupe en provenance de filiales européennes, et donc ramené à 1 %, lorsque la filiale distributrice est soumise à un impôt équivalent à l'IS dans un État membre de l'UE, en Islande, en Norvège ou au Liechtenstein et qu'elle remplit les conditions d'appartenance à un groupe intégré, autres que celle d'être soumise à l'IS en France (CGI art. 216 modifié par la loi 2023-1322 du 29-12-2023 art. 52). Le taux de 1 % s'applique également aux dividendes versés à une société non intégrée par une filiale soumise à un impôt équivalent à l'IS dans un des États visés ci-dessus sous réserve que ces deux sociétés remplis­saient les conditions pour appartenir à un groupe fiscalement intégré si la filiale était établie en France. Mais ce taux réduit ne s'applique pas si la non-appartenance de la société française à un groupe est uniquement due à l'absence des options et des accords à formuler pour le régime de l'intégration fiscale.

En cas de pertes de la filiale étrangère, celles-ci peuvent justifier la constitution par la société mère d'une provision destinée à tenir compte de la dépréciation de sa participation, étant entendu que la charge correspondante ne peut donner lieu à aucune déduction. Par ailleurs, le régime de déduction des aides (commerciales ou financières) consenties à une filiale est identique, qu'il s'agisse d'une filiale française ou étrangère.

Toujours en raison de leur personnalité juridique distincte, la société mère française et sa filiale étrangère ont entre elles des relations de fournisseur à client donnant naissance à des créances et à des dettes susceptibles d'entraîner des charges fiscale­ment déductibles pour la société française (cas où celle-ci est conduite à constater par voie de provision la dépréciation d'une créance sur sa filiale ou à lui consentir pour des raisons commerciales une aide financière sous forme de remise de dettes, par exemple).

Enfin, dans la fixation du prix des opérations qu'elle traite avec sa filiale (fournitures de biens ou services, avances, licence d'exploitation de ses marques ou brevets), la société française doit en principe veiller à respecter les tarifs normaux du marché. En effet, toute aide à une filiale étrangère entre dans le champ d'application de la présomption d'anormalité édictée par l'article 57 du CGI tendant à réprimer les transferts de bénéfices à l'étranger. Le cas échéant, les entreprises peuvent se référer aux principes directeurs établis par l'OCDE pour la définition des prix de pleine concurrence ou solliciter l'application de la procédure simplifiée d'accord préalable sur les prix de transfert.

Liquidation de l'investissement à l'étranger. Lorsqu'une entreprise française met fin à l'activité d'une filiale implantée hors de France, une distinction doit être faite selon qu'elle cède sa participation ou réalise les actifs de sa filiale.

Si la société cède sa participation dans la filiale, elle réalise une plus-value ou subit une moins-value soumise au régime des plus-values (ou moins-values) professionnelles, étant précisé :

  • que les plus-values sur titres de participation détenus depuis au moins 2 ans (autres que les titres de sociétés à prépondérance immobilière ou financière) réalisées par les entreprises soumises à l’IS sont exonérées, à l'exception d'une quote-part de frais et charges de 12 %, calculée sur le montant brut de ces plus-values qui est comprise dans le résultat ordinaire, à condition toutefois que l'entreprise réalise une plus-value nette à long terme au cours de l'exercice de cession ;
  • et qu'en contrepartie de l'exonération des plus-values, les moins-values constatées sur les mêmes titres ne sont pas déductibles du résultat imposable.

En cas de cession de titres détenus depuis moins de 2 ans, le gain réalisé est imposable au taux de droit commun. En revanche, la moins-value subie lors d'une telle cession fait l'objet d'un report de déduction lorsqu'il existe des liens de dépendance entre l'entreprise cédante et la cessionnaire.

Si la filiale à l'étranger se liquide par la vente de ses actifs et la répartition entre ses associés du produit de cette liquidation, la situation de la société mère française varie suivant que la somme qu'elle perçoit est supérieure ou inférieure au montant de ses apports. En effet, dans le premier cas, elle réalise un revenu mobilier exonéré d’IS (après défalcation d'une quote-part de frais et charges) en tant que produit de filiale alors que, dans le second cas, elle subit une perte de liquidation qui est fiscalement considérée comme une « moins-value » de cession.

 

© Lefebvre Dalloz