Qu’il s’agisse d’entreprises individuelles ou de sociétés, les problèmes de transmission sont complexes, hormis certains cas relativement peu fréquents.
Tout dirigeant quitte un jour son entreprise. Ce départ peut se produire :
volontairement, par voie de cession à titre onéreux ou de transmission à titre gratuit,
contre le gré du dirigeant, en cas de perte de majorité ou de liquidation forcée,
inopinément, à la suite d’événements dommageables, tels que la maladie, l’invalidité ou le décès.
Mais l’entreprise ne se transmet pas aussi facilement qu’un immeuble ou un portefeuille de valeurs mobilières. Il existe à cela une raison fondamentale et pratiquement incontournable qui tient à ce que, pour en régler la transmission, notre droit – civil, commercial, fiscal – tient compte essentiellement de la valeur de l’entreprise au moment où elle est transmise et ignore, sauf rares exceptions, sa spécificité profonde.
Pourtant, dans la majorité des cas, la transmission de l’entreprise ne s’accommode pas des règles de droit classiques :
parce qu’une entreprise ne vaut rien – immédiatement ou à terme – sans la capacité à la manager et que cette capacité ne suit pas automatiquement le droit de propriété,
et parce que nombre d’entreprises ne sont pas divisibles soit pour des raisons de droit dans le cas de l’entreprise individuelle, soit pour des raisons de fait dans le cas des sociétés.
Les problèmes de transmission sont donc complexes. Par exception, la transmission s’opère plus facilement dans deux cas :
il existe un seul héritier, et il a la capacité et l’envie de reprendre l’entreprise,
l’entreprise est cotée en Bourse, l’équipe de direction est en place et apte à assumer la succession.
Le problème de la transmission de l’entreprise est dominé par quatre principes qui s’appliquent pratiquement toujours.
Les problèmes de transmission sont toujours difficiles ; ils deviennent souvent insolubles quand interfèrent des considérations d’ordre psychologique et sentimental. Trop souvent, le dirigeant – surtout s’il en était le créateur – et les héritiers considèrent l’entreprise comme un “fief” à “garder dans la famille” absolument.
Pourtant, l’entreprise n’est pas une chose, un souvenir ou un bien de famille. Vouloir la maintenir dans la famille, c’est souvent lui infliger un environnement qui n’est pas le sien et, peut-être, la condamner à terme plus ou moins proche. En revanche, le capital dégagé par la cession de l’entreprise constitue un bien comme un autre, bien qui pourra prospérer dans de multiples contextes.
Il importe donc d’éviter, si possible, que n’interfèrent le financier et le non-financier, et de ne jamais exclure, par principe, les solutions dont la mise en œuvre suppose que l’entreprise quitte le patrimoine familial ou perde son identité à la suite d’une fusion.
Si l’entreprise est importante, prospère et apte, de fait, à distribuer régulièrement des dividendes, il sera généralement plus facile de lui trouver un acheteur. Le dirigeant verra ainsi s’ouvrir à lui les moyens relevant de la cession à titre onéreux.
Ce qui est vrai de la cession à titre onéreux l’est également, quoique dans une moindre mesure, de la transmission à titre gratuit. Dans le cadre d’une entreprise riche et performante, les héritiers seront plus enclins à faire équipe ; ils apporteront plus volontiers des capitaux nouveaux.
Même remarque concernant la structure juridique de l’entreprise : si cette dernière est constituée en société, voire de plusieurs sociétés, il sera éventuellement plus facile de la diviser pour la transmettre à titre gratuit à différents héritiers. Les acheteurs potentiels, quant à eux, seront souvent plus intéressés par une société que par une entreprise individuelle – hormis le cas des commerces de détail et du petit artisanat.
Une affaire a des chances raisonnables de se développer quand elle a les coudées franches, qu’elle est en mesure de recevoir l’impulsion d’un homme ou d’une équipe dirigeante, que ses propriétaires sont pleinement libres de jouer le jeu normal de l’entreprise, jeu qui nécessite parfois des décisions rapides, et dont les péripéties peuvent être constituées par la cession de tout ou partie du capital ou par la dilution de ce dernier.
Tout ce qui peut entraver durablement ce fonctionnement risque fort de se retourner un jour contre l’entreprise et, par voie de conséquence, contre ses associés.
Certains dirigeants ont tendance à vouloir mettre en place des constructions juridiques apparemment astucieuses mais trop rigides, constructions qui leur paraissent de nature à assurer un avenir conforme à leurs intentions. Les circonstances se chargent généralement de déjouer les meilleurs calculs et de bloquer les systèmes trop bien montés.
Transmettre la nue-propriété à l’un et l’usufruit à l’autre, vouloir trop bien équilibrer les participations, doter le plus capable d’actions à droit de vote double ou monter une société holding qui assure le pouvoir de l’un constituent des solutions qui peuvent paraître astucieuses mais risquent de conduire un jour à une impasse.
Le dirigeant qui pense à transmettre l’entreprise ne doit pas, consciemment ou non, empêcher ses successeurs de se conduire en créateurs, de s’allier à d’autres entreprises ou associés, de céder l’entreprise à leur tour.
L’entreprise qui réussit a une longévité supérieure à la carrière d’un homme ; elle changera donc de dirigeants. Celui qui crée, reprend ou achète une entreprise doit être bien conscient :
qu’il entame un parcours qui a une “arrivée” et doit être organisé en tant que tel,
mais qu’il ne choisira pas nécessairement le moment et les circonstances de cette arrivée.
En outre, dans le cours de l’évolution de l’entreprise, peuvent se présenter des “occasions” de vendre qu’il faudra pouvoir saisir si elles fournissent une possibilité de “sortie” plus intéressante que celle prévue au terme “normal”. L’entreprise ne doit donc pas être uniquement conçue pour être transmise à la fin d’un parcours standard se terminant à la retraite du dirigeant ; elle devrait, idéalement, être constamment organisée pour que la propriété et le pouvoir puissent être transmis à tout moment.
Certes, cela n’est pas possible pour l’entreprise très jeune, mais, dès que l’affaire a pris un certain essor, les différentes hypothèses de transmission doivent être constamment présentes à l’esprit du dirigeant, y compris les hypothèses pessimistes.
Cet objectif permanent devra se traduire, dans la mesure du possible, par :
la mise en place d’une structure apte à favoriser la transmission,
une attention régulière aux possibilités de vente,
la volonté de développer l’entreprise et d’en assurer la solidité financière,
une estimation de sa valeur réaliste et régulièrement révisée,
la mise en place, dès que possible – et, idéalement, la participation au capital –, d’une personne ou d’une équipe apte à prendre la relève,
une réflexion régulière sur les scénarios de transmission – y compris les plus pessimistes – en collaboration avec les conseillers de l’entreprise.
Les difficultés et problèmes rencontrés se présentent de manière différente selon que l’on se trouve en présence d’une entreprise individuelle non constituée en société ou d’une société . Ils peuvent être regroupés en cinq grandes catégories :
estimer correctement la valeur de l’entreprise ,
trouver le meilleur moment pour transmettre ,
trouver les acquéreurs si la solution consiste à vendre tout ou partie de l’entreprise ,
choisir les successeurs et ne pas trop charger ces derniers en droits, charges ou soultes à payer ,
éviter de transmettre à ces derniers un “capital piégé”.
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